II. La caricature : un art au service de la propagande

 

 

 

 

A.             La caricature dans la presse  

Les journaux, et notamment le Simplicissimus, journal satirique par excellence, contiennent de nombreuses caricatures. Le dessin humoristique est une forme d’expression autorisée par le régime nazi, à condition qu’elle serve ses objectifs et qu’elle ne sorte pas du cadre étroit de ses conceptions concernant la création et l’information. Incisive et réductrice, la caricature associe une image simplifiée à un texte court. Elle se prête donc à la conception de Goebbels dans le domaine de la manipulation des foules : des images simples et fortes, compréhensibles par le plus grand nombre et entraînant une émotion plutôt qu’une réflexion du public. Le dessin humoristique, répond à cette exigence.

 

Le régime nazi décide de maintenir une pluralité de titres dans le domaine de la presse quotidienne et des revues pour répondre à deux exigences : offrir un choix au lecteur, afin de ne pas le lasser et le convaincre, d’autre part, qu’il subsiste dans le Reich une liberté d’expression et une libre circulation de l’information. La présence de caricatures dans des journaux à vocation satirique participe à cette entreprise de diversion. En effet, le domaine de la création humoristique, par la liberté de ton et d’esprit qu’il présuppose, est certainement le plus difficile à mettre au pas par un régime totalitaire. Le tour de force consiste à l’intégrer pleinement au vaste plan d’encadrement des esprits, à côté des autres vecteurs de la propagande, tout en continuant à provoquer l’amusement du lecteur.

 

B.Le but de la caricature

Mais ce rire doit être provoqué par des sujets bien définis et très limités. A la même époque, les caricaturistes américains et anglais n’hésitent pas à faire rire de sujets graves - la mort, les destructions matérielles, et même la déportation - afin de les dédramatiser, car en temps de guerre, la population souffre, et le rire devient une libération. En revanche, à aucun moment, le dessin humoristique allemand ne s’amuse du régime, de la population allemande, ou des soldats de la Wermacht, alors que les dirigeants et les soldats alliés sont largement mis en scène par la caricature anglo-saxonne. Le totalitarisme nazi ne souffre ni l’ironie, ni l’auto-dérision. Les lecteurs allemands peuvent rire, mais aux dépens de l’ennemi exclusivement.

 

C.     L’art de caricaturer

La représentation de l’ennemi par les dessins humoristiques répond à des critères bien précis. La caricature tient une place à part dans un journal ou un magazine : on la remarque du premier coup d’oeil, avant d’entreprendre la lecture des articles. Bien souvent, c’est le seul élément du journal qui tombe sous les yeux des enfants, des adolescents et de la femme au foyer. Elle doit donc être compréhensible et lisible par tous, c’est la condition de son efficacité. De ce fait, les pays ennemis sont symbolisés de façon à être immédiatement identifiés et ce, le plus souvent, par le biais de leurs dirigeants : Daladier, Chamberlain et Churchill, puis Staline et Roosevelt sont mis en scène.

 La représentation ne doit pas laisser place au doute :

 

"Keep it up, Mr. Churchill, and we'll soon be doing business together.”                        Source: Simplicissimus, 6 Août 1939

 

 

Lorsque le chef d’état n’apparaît pas, le pays est symbolisé par un élément caractéristique :

 

§          l’Angleterre est représentée par le lion sur lequel figure l’"  Union Jack  ", le soldat anglais, reconnaissable à la forme particulière de son casque, le personnage-symbole de " John Bull ", ou par le roi - la couronne et le trône sont dessinés...

§          L’URSS est représentée par le soldat bolchevique - l’étoile rouge et l’uniforme sont là pour faciliter la reconnaissance.

§           L’Amérique, c’est le cow-boy ou l’" Oncle Sam ". Une ébauche de décor permet d’identifier les champs de bataille : falaises de l’Angleterre, neiges de Sibérie, palmiers du Pacifique ou ruines antiques de l’Italie.

 

Les modes de représentation ne sont donc guère originaux. Ils véhiculent des images classiques et très réductrices des puissances ennemies. Le capitalisme international, thème récurrent dans les caricatures, est symbolisé comme partout ailleurs par un gros bourgeois en habits, coiffé d’un haut de forme, marqué du symbole du dollar ($) ou de la livre (£). Ces images sont le plus souvent négatives. Dans la période de guerre, la propagande se donne pour tâche d’accentuer ces traits afin de mieux dénoncer l’ennemi. On peut relever une différence importante avec la propagande artistique : la caricature est le seul domaine à échapper à l’obligation d’une représentation figurative, seul mode de représentation autorisé par le régime, le réalisme national-socialiste, en quelque sorte. L’objectif des caricatures n’est pas d’enjoliver ou d’exalter tel ou tel aspect du régime ou du peuple, mais de dénoncer l’ennemi.

 

L’artiste peut faire " laid ", puisqu’il s’agit de dénoncer ce qui est laid aux yeux de la doctrine officielle.

Derrière le personnage, qui est le plus souvent la cible directe du dessin, il existe un arrière-plan idéologique. Un dessin représentant Churchill provoque d’instinct une aversion de par les a priori inculqués au lecteur grâce aux autres moyens de la propagande, mais également grâce aux éléments complémentaires introduits dans le dessin, ou encore grâce au texte. Cet arrière-plan est le plus souvent simple, il dépasse rarement le premier degré. Mais il fait directement appel à des valeurs familières au lecteur.

 



Erich Schilling, Winston Churchill,
(Simplicissimus, 1er Janvier 1942)

 

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