Le mouvement expressionniste fut
principalement allemand, il s’affirma dans tous les arts : peinture, théâtre,
et littérature. Son apparition dans le cinéma se fit lorsque naissait la République
de Weimar (1919) et que le peuple allemand, après la défaite de le 1 ère
guerre mondiale, subissait l’inflation et la misère. C’est un produit de
l’angoisse, fuyant toute représentation
réaliste, filmé à l’intérieur d’un studio, exagérant les formes et les
contrastes.
Rétrospective des premiers films
expressionnistes :
1913 : premier film du danois
Stellan Dye, L’étudiant de Prague. Il aura une grande influence sur
les futurs cinéastes
1919 : Le cabinet du docteur
Caligari de Robert Weine. Ce film se présente comme un cauchemar :
rues en zig-zag, façades déformées, démarches étranges des acteurs. Les 3
collaborateurs du film ont fait leur classe au Blaue Reiter (le Cavalier Bleu),
célèbre école expressionniste. Le jeu des acteurs (leurs gestes brusques,
mimiques grimaçantes, le maquillage, la distorsion du décor) avait pour but de
choquer les spectateurs. Weine aurait influencé des réalisateurs tels que
Fellini ou Orson Welles.
Friedrich Wilhelm Murnau (1888-1931)
: son oeuvre la plus importante fut Nosferatu, basé sur le roman Dracula
de Bram Stoker. Le film est composé de jeux d’ombres, d’effets spéciaux,
pour rajouter une atmosphère inquiétante. Ce film comporte l’un des cartons
le plus célèbres du cinéma muet « et quand il eut passé le pont, les
fantômes vinrent à sa rencontre », une allégorie à la mort. Cette
« symphonie de l’horreur » (sous-titre de Nosferatu) prend
sa pleine signification restituée dans son climat : une Allemagne vaincue,
en proie aux incertitudes de son sort, sur le plan politique, moral et économique.
Fritz Lang (1890-1976) : Ses thèmes
de prédilection sont la mythologie germanique, les anticipations prophétiques
et surtout le lutte entre le bien et le mal. Son œuvre culmine avec M , le
docteur Mabuse, et le testament du docteur Mabuse.
Ø
Fritz
Lang : le plus grand cinéaste historien
Fritz Lang est déjà un metteur en
scène connu du grand public quand il réalise un film en 2 parties dont les
titres allemands sont très explicites : Docteur Mabuse, le joueur, journal
d'une époque , pour la première partie et Docteur Mabuse, Inferno, hommes
d'une époque , dans la deuxième partie. C'est un film muet dont l'auteur
" un document d'une époque ". Le film présente une Allemagne rongée
par l'inflation, l'appétit d'argent et de plaisirs, une Allemagne en décomposition
économique, sociale et morale. L' idée du film est tirée d'un roman de
Norbert Jacques, romancier luxembourgeois qui a crée un génie du mal sévissant
en Allemagne. Nous sommes dans la droite ligne de la littérature
feuilletonesque dont Fantômas ( 1911) est le prototype, et qui permet de
sensibiliser les élèves aux progrès réels de l'alphabétisation qui rendent
possibles le succès populaire de ce genre littéraire. Fritz Lang et sa scénariste,
Théa von Harbou, plus tard son épouse, s' en inspirent librement. Docteur
Mabuse est une critique acerbe des pratiques sociales de la République de
Weimar. Avec des élèves, il est possible de sélectionner quelques séquences,
pour montrer les effets négatifs de la spéculation, telles que l 'épisode de
la Bourse où Mabuse provoque une crise boursière qui lui rapporte des
milliards, après avoir volé un traité de commerce. Une scène dans les salles
de jeux donne une idée de la dégradation d' une certaine élite préoccupée
avant tout, des sensations fortes procurées par les cartes et l'amour. Avec des
classes de première, on peut dégager ce qu'est l'expressionnisme : " une
certaine conception du huit- clos dramatique, un recours aux éclairages et aux
décors à reflet psychologique " ( Marcel Martin ), mais aussi " un
goût pour les jeux d'ombres et de lumières, la valeur significative de
certains objets, l'utilisation des reflets et des vitres " (Francis
Courtade). Fritz Lang s'est toujours défendu d'être expressionniste même si,
plus tard, dans les Cahiers du Cinéma, il écrit en 1965 : " ...J'ai été
très influencé par l'expressionnisme ; on ne peut traverser une époque sans
être influencé par quelque chose ". Précisons que Mabuse n'est pas une
préfiguration d' Hitler. C'est en 1932 dans Le Testament du Docteur Mabuse que
Lang fait des allusions à la montée du nazisme. Goebbels fit d'ailleurs
interdire le film, ce qui ne l'empêcha pas de proposer à son metteur en scène
la direction de la production cinématographique du Reich. Lang, dont la mère
était juive; s'enfuit pour Paris, puis Hollywood, tandis que Théa von Harbou
adhère au parti nazi.
Second volet Mabuse, Le
Testament imaginé par Lang reste l'un de ses plus grands films. À toute
la série de motifs habituels des films d'action et de mystère qui parsèment
le film, qui possède son lot d'agents doubles, de savants fous, de bandits et
d'hommes de loi, Lang ajoute une dimension qui fait de ce Mabuse un film
historiquement et artistiquement significatif. Cette dimension, analysée et
commentée sous tous les angles depuis des décennies par des cinéphiles et
experts en cinéma, pourrait être présentée comme une critique prophétique
de l'horreur nazie, à travers le personnag de Mabuse. Critique courageuse et
audacieuse pour l'époque, en 1932, des années avant l'horreur nazie.
Le Testament du Dr. Mabuse, 1932 :
magistrale allégorie
et préfiguration de la menace nazie
Il est effectivement facile de
décoder l'une des scènes clés du film comme une charge anti-nazie. Cette scène
a lieu au premier tiers du film, dans un échange entre l'inspecteur Lohmann et
le professeur Baum, devant le cadavre du Docteur Mabuse qui vient de mourir.
Alors que Lohmann se met à qualifier Mabuse de lâche criminel dont l'humanité
est enfin débarrassée, le professeur Baum, qui étudie le comportement de
Mabuse depuis son internement psychiatrique, se lance dans un passionné et délirant
éloge et défense de son patient, qu'il qualifie de grand génie incompris.
Fritz Lang aurait mis dans la tirade du professeur Baum des phrases entières du
programme du parti national-socialiste de l'époque, et Baum imite plusieurs
manies et gestes oratoires enflammés de Hitler en récitant son panégyrique de
Mabuse. La volonté de puissance destructrice de Mabuse devient ainsi une allégorie
de la menace nazie qui pèse sur le monde, et le parti de Hitler clairement
identifié et attaqué à travers cette scène audacieuse et très claire pour
le public de l'époque. Le parti national-socialiste ne s'y trompa d'ailleurs
pas : Goebbels fit interdire le film et offrit à Lang de devenir l'un de ses
bras droits au ministère de la Propagande, tentant de récupérer et d'étouffer
Lang. Celui-ci préféra quitter l'Allemagne.
Ce film est intéressant pour le
professeur d'histoire a un double titre :
- Fritz Lang a voulu faire un documentaire sur la société de son
temps. " Il m'a semblé juste de me mettre au diapason actuel de la vie, de
la réalité de l'époque que nous traversons en ce moment, et de construire un
film uniquement sur des rapports de faits divers.. " ; il se donne "
la mission de donner à propos d'événements réels un avertissement, un éclaircissement,
et d'avoir en définitive une action préventive " dit-il dans une
interview à la presse allemande en 1931.
- C'est un film sonore , dont la qualité montre que l'Allemagne était
bien à la pointe de la technique. L'originalité de Lang est d'avoir fait des
bruits et des voix des éléments essentiels de la tension dramatique. Il n'a
pas eu recours à la musique de film quand les débuts du parlant se
traduisaient par un déferlement d'opérettes et de films musicaux. La seule mélodie
que l'on trouve dans le film et qui participe au suspense est le thème de Peter
Gynt de Grieg siffloté par M. le Maudit.
Thème : A Berlin vers 1930, un assassin inconnu tue des fillettes. Ses crimes
soulèvent l'indignation et la peur de l'opinion. La police et la pègre se
lancent à sa recherche, chacun avec des méthodes d'investigation spécifiques
qui sont présentées dans la première partie du film par un montage alterné.
La source est un fait divers réel, " le vampire de Düsseldorf ".
M. Le Maudit est un document pour l'historien car au-delà du fait divers c'est
toute la société allemande qui est en accusation. Plusieurs séquences peuvent
faire l'objet d'étude , l'assassinat d'Elsie, la psychose dans la ville, M
reconnu et marqué à l'épaule, le quadrillage de la ville par la police et les
truands ...selon l'âge des élèves et l'objectif que l'on poursuit. L'étude
du générique permet de faire repérer deux attributs de l'assassin, son ombre
et son sifflement. La partie qui suit permet de reconstituer le cadre de vie
quotidien des Berlinois modestes : quartier, immeuble, cour et intérieur. Du
point de vue cinématographique, elle est construite en montage alterné dont
l'effet produit sur le spectateur est facile à dégager. La deuxième partie
sur la peur dans la ville présente une discontinuité de lieux et de
personnages : des rues, un café, un appartement bourgeois, intéressants témoignages
même si ce sont des décors .Les assassinats de M mettent à jour des réactions
hystériques d'autodéfense, la multiplication des délations mais aussi le goût
morbide du public pour les faits divers sanglants. M perturbe toute la société,
y compris la pègre d'où la traque organisée par Schranker, chef des truands.
Celui-ci utilise le vocabulaire et les arguments des orateurs nazis pour
convaincre ses acolytes. Son costume rappelle les cadres nazis ; son discours
aussi, " le monstre n'a aucun droit à la vie, il doit disparaître, il
doit être exterminé sans pitié et sans égard " dit-il. L' acteur,
Gustav Grûndgens, nommé plus tard directeur du plus grand théâtre de Berlin
inspira à Klaus Mann le personnage de Méphisto. Quant à M, il est joué par
Peter Lorre, de son vrai nom Ladislav Loewenstein, juif hongrois qui quitta
l'Allemagne après Lang ; marqué par ce rôle, il se spécialisa à Hollywood
dans les rôles d'assassins et de maniaques ( Faucon maltais, Casablanca ) .
Ainsi, c'est la vie et l'oeuvre de Fritz Lang, mais aussi celles de ses acteurs
et collaborateurs qui s'inscrivent profondément dans l'histoire politique;
sociale et culturelle de l'Allemagne.
On a pu voir dans M le maudit un
film annonciateur de ce devait devenir l'Allemagne sous le nazisme. Sans doute
Fritz Lang avait-il plus qu'une simple intuition mais il partait surtout dans
une exploration des frontières ténues entre le bien et le mal, thème
essentiel de presque toute son œuvre.
Ø
La
chute due à l’arrivée d’Hitler au pouvoir
Réalisé
3 ans près les temps modernes, le dictateur fut le premier long métrage
parlant de Charlie Chaplin .C’est une comédie burlesque d’une efficacité
comique parfaite mais aussi un pamphlet antinazi d’une virulence étonnante :
il fallut bien du courage à Chaplin pour oser ainsi ridiculiser Hitler en
personne. Les sympathisants nazis américains menèrent d’ailleurs la vie dure
à Chaplin. Il fut le seul cinéaste qui, en 1939, s’impliqua corps et âme
dans une attaque frontale du dirigeant nazi.
Hynkel
(nom du vrai dictateur) éructe des discours incompréhensible, s’agite comme
un mégalomane en pleine crise d’hystérie, grimpe aux rideaux et prononce la
phrase-culte de Greta Garbo dans Grand Hotel : « Leave me. I want to be alone ». Dans
une crise d’autorité , Hynkel lance aussi de la nourriture au visage de
Napolini (transposition de Mussolini)
L’ironie est que le sosie du
dictateur est un petit juif, barbier rendu amnésique par la guerre de 14-18.
C’est un petit être autiste, sans défense, isolé de tous, épris d’une
jeune femme du ghetto (Paulette Goddard), son portrait est totalement l’opposé
de celui d’Hynkel.
Le comique
de situation et de comportements n’occulte pas la réalité dramatique du
ghetto, des arrestations violentes et des injustices raciales arbitraires.
C’est ainsi que contre cela le sosie se lance , à la fin, dans un long
discours humaniste, dans une séquence même sur-dramatisée.
Le dictateur
est un cri pour la liberté, mais malgré cela, huit jours après le début du
tournage, la seconde guerre mondiale éclatait en Europe Centrale.
Le dictateur,
au delà de son histoire, invite à une plus longue analyse : c’est un
chef d’œuvre comique politiquement effronté, très féroce dans ses
caricatures.
Discours
final du film "Le Dictateur" de Charlie Chaplin